Souvenance
Sous un ciel immobile où les oiseaux se posent
Quand les blés dans les champs mollement se reposent
Quand tout semble éthéré, que tout est silencieux
Quand l’ouvrage accompli s’élance vers les cieux
Un souvenir surgit des maux qui le composent
C’est un chemin boiteux, une ride incertaine
Une plainte qui longe une époque lointaine
C’est un tourment du temps qui soudain s’épaissit
Qui s’en vient, qui s’en va, comme l’orbe indécis
D’une étrange langueur qui sourd d’une fontaine
Imperceptiblement et presque sans visage
Il s’affirme et se tient au coeur du paysage
Je devine un regard; je suppose une voix
C’est un passé lointain, soudain, que j’entrevois
Par le temps anobli, vertueux et sans âge
Il émane de lui la paix d’un autre monde
Où la beauté se fond dans l’essor de l’aronde
Où le rire se tend jusqu’à toucher le ciel
Et l’effleure sans bruit dans un baiser véniel
Sous le regard froncé des passants à la ronde
Des coeurs illuminés ; un jupon blanc qui danse
Et le soleil joyeux qui coule en abondance
Mais aux couleurs d’antan se mêlent des amours
Aux sombres dénouements que je porte toujours
Dans un repli du coeur que j’ouvre en confidence
Aux vents du soir venu, le songe m’abandonne
S’altérant doucement tel un glas qui bourdonne
Et dans ma solitude insipide et sans fin
Il ne concède rien, ni ruban, ni parfum
Comme un amour déçu, qui reprend ce qu’il donne
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Solitude
Le soir venu, dans le silence,
Sous une ampoule nue qui danse
Dans la chaleur d’un four ouvert
Et le vacarme des couverts
Je crains la nuit
Elle s’est assise et m’accompagne
Quotidienne et morne compagne
La solitude fait grand mal
Dans son marasme lacrymal
Peuplé d’ennui
J’attends que l’on frappe à ma porte
Qu’un tourbillon de vent m’emporte
Par dessus les sombres marais
Haut vers la sphère où tu serais
Où l’astre luit
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Le Grillon
Dans la ravine de mon coeur
Chante un grillon mélancolique
Et sous le vent, en crève-coeur
L’ivraie se lit en italique
L’automne valse en tourbillons
Entraînant dans sa folle ronde
Les rumeurs sourdes des sillons
Et l’exil feutré de l’aronde
Où es tu, toi que j’aimais tant ?
Dans ses bras, loin de nos délices
Loin des bruits et de l’habitant
Dans l’antre où vous êtes complices ?
Le vent gémit dans la futaie
Tout alentour me fait reproche
Jusqu’au noir grillon qui se tait
Dans la brisure de sa roche
Combien est grise ma maison
Quand je te sais sur l’autre rive
C’est l’automne en toute saison
Avant que mon hiver arrive
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1er Mai
A tous les coins de rue, on offre du bonheur
En toupets ou en brins; avec ou sans la rose
“Monsieur est connaisseur” lâche le flagorneur
“Acheter mon muguet brise la sinistrose”
“C’est de l’amour !” dit il en me clignant de l’oeil
Et me voilà cherchant quelque argent dans ma poche
Celui là me vendrait des fleurs dans mon cercueil
Tant il est convaincant et tant je suis fantoche
Puis me voilà parti, tenant l’auguste brin
Comme probablement les Césars, les Pompées
Arboraient autrefois leur sceptre fait d’airain
Qu’ils brandissaient au front des plèbes attroupées
Aujourd’hui je suis seul, pareillement demain
A quoi bon cette grâce à l’essence admirable
Si ce n’est pour l’offrir qu’aux calus de ma main .
Égoïste dessein à l’écho déplorable !
Mais une dame vient, esclave d’un paquet
Avec le front soucieux qu’un contretemps chiffonne
Je lui dis “C’est pour vous !” et lui tends le muguet
Surprise elle se perd, puis sa mine rayonne
Et sans autre débat, je fuis comme un lapin
Quand dans mon coeur j’entends tinter une clochette.
- Camelot qu’a tu mis en prime de ce brin ?
Du bonheur ! Du bonheur ! qui s’offre à la sauvette !
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L'Attente
La flèche du cadran a terminé la ronde
Du douloureux déclin du rêve que j’attends
Dans un petit bistrot d’une cour moribonde
Épiant ce pas léger, ce fredon de printemps
Cet éclair sur le monde
Mais qui pourrait vouloir d’un être que l’on moque
D’un sombre olibrius inquiétant comme un puits
Que l’on fuit vertement tant sa présence choque
Tant son aspect brumeux qu’il dispute à la nuit
Semble sans équivoque
C’est le chant des revers; l'éternelle rengaine
Qui vient siéger au droit des perfides destins
Qui consume le coeur et condense la haine
Dans un dégoût de soi qui dès les jours éteints
Vers le fond nous entraîne
L’attente dure encore, et le temps s’éternise
Et l’horloge implacable achève un autre tour
Mais il me faut aller et vaincre la hantise
D’entrevoir en chemin comme une ombre alentour
Rodant, fuyante et grise
Un moment j’aperçois au bras de sa princesse
Un galant qui ondule et rit benoîtement
Ses yeux touchent ses yeux, sa main touche sa fesse
Quand elle ignore encor que Cupidon lui ment
Au seuil de sa grand messe
Pendant que le regard du firmament se penche
Semblant, sur mon chagrin, paraître démuni
Anéanti, meurtri, et le coeur qui s’épanche
Sur les berges du soir, je marche à l’infini
Dans la nuit vaste et blanche
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