Il pleut !...
Il pleut !...
Sous la voûte de mai, un blanc matin s’égoutte
La nature nous parle, mot à mot, goutte à goutte
Et l’herbe des gazons et les buissons fleuris
Mêlent leur agrément au printemps qui sourit
Quelques merles en frac, en quête d’ordinaire
L’œil aigu, le pas vif, presque disciplinaire
Impétueusement, et comme à succomber
Cherche un vers qu’un poète aurait laissé tomber
La glycine adossée aux ruines séculaires
D’un mur aux fondements plus que crépusculaires
Enlace tendrement, les bras chargés de fleurs,
Un éphèbe de pierre à l’aspect enjôleur
Le square délaissé aux moineaux de la ville
Ruisselle sous la pluie sa nature tranquille
Ses silences fleuris, ses parfums accomplis
Qu’il donne à pleines mains aux âmes qu’il remplit
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Les Petits Vieux
Ce sont deux petits vieux qui vont à petits pas
Sur leur chemin qui va du commerce au repas
Ils sont si près des cieux qu’elle agrippe sa manche
De peur qu’il disparaisse au coin de ce dimanche
Les bancs sont les stations de leur chemin de croix
Marcher quand on est vieux, est brisant de surcroît
Le ciel semble si vaste à l’âme qui se traîne
Que l’admirer un peu valait bien cette peine
Leur horizon s’éteint au bout de leurs souliers
Et leurs jours ne sont plus que rites journaliers
Ils ont pleuré leur chien, il n’ont pas de famille
Ils n’ont pour tout soutient qu’une vieille béquille
La main l’étreint si fort, qu’il se tourne à demi
Et dans ce corps flétri, dans ce corps qui gémit
Demeure en filigrane une grâce éternelle
Qu’il relève toujours au fond de sa prunelle
Et dans son coeur usé, soudain la flamme luit
Tant d’années à s’aimer avant la grande nuit
Alors, il prend sa main, y pose le soleil
Se penche doucement, et glisse à son oreille :
“ - Tu es belle aujourd’hui ! “
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L'Eveil
On peut le voir assis, le poing sous le menton
Et de son autre main, à l’aide d’un bâton
Pousser allègrement les attritions de l’homme
Vers des gouffres ignés qui forgent son royaume
La terre doucement s’effondre en son tombeau
Encore un peu de temps pour n’être qu’un flambeau
Car il sait la patience et l’enfer sait attendre
Et ce sera le feu, et ce sera la cendre
Au dessus son antre il augure des cris
Des larmes, des sanglots, tout ce qu’il a prescrit
Et son regard flamboie à cette joie infâme
De voir pleurer l’enfant sur le corps d’une femme
“Le monde est imparfait, mais il n’est pas pourri
Ici, voyez vous-même , on danse, on chante, on rit !”
Nous dit l’homme d’état usant sa bonne mine
Mais à deux pas d’ici, hélas, on s’extermine
Et la terre, elle aussi convoite notre fin
Car elle a trop souffert des viols de l’aigrefin
Quand tremble tout son corps, quand gronde sa prière
On chancelle devant sa larme meurtrière
D’avoir trop espéré, d’avoir trop attendu
D’avoir danser aux vents comme un pauvre pendu
Trop longtemps à genoux, le peuple se relève
Prenez garde, nantis, à ce bras qu’il soulève
Car ce peuple est légion, et vous êtes bien seuls
Vos dollars ne seront que futiles linceuls
Écoutez !... Écoutez !...Ce n’est pas le tonnerre
C’est sa vindicte nue et révolutionnaire
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Souvenance
Sous un ciel immobile où les oiseaux se posent
Quand les blés dans les champs mollement se reposent
Quand tout semble éthéré, que tout est silencieux
Quand l’ouvrage accompli s’élance vers les cieux
Un souvenir surgit des maux qui le composent
C’est un chemin boiteux, une ride incertaine
Une plainte qui longe une époque lointaine
C’est un tourment du temps qui soudain s’épaissit
Qui s’en vient, qui s’en va, comme l’orbe indécis
D’une étrange langueur qui sourd d’une fontaine
Imperceptiblement et presque sans visage
Il s’affirme et se tient au coeur du paysage
Je devine un regard; je suppose une voix
C’est un passé lointain, soudain, que j’entrevois
Par le temps anobli, vertueux et sans âge
Il émane de lui la paix d’un autre monde
Où la beauté se fond dans l’essor de l’aronde
Où le rire se tend jusqu’à toucher le ciel
Et l’effleure sans bruit dans un baiser véniel
Sous le regard froncé des passants à la ronde
Des coeurs illuminés ; un jupon blanc qui danse
Et le soleil joyeux qui coule en abondance
Mais aux couleurs d’antan se mêlent des amours
Aux sombres dénouements que je porte toujours
Dans un repli du coeur que j’ouvre en confidence
Aux vents du soir venu, le songe m’abandonne
S’altérant doucement tel un glas qui bourdonne
Et dans ma solitude insipide et sans fin
Il ne concède rien, ni ruban, ni parfum
Comme un amour déçu, qui reprend ce qu’il donne
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Solitude
Le soir venu, dans le silence,
Sous une ampoule nue qui danse
Dans la chaleur d’un four ouvert
Et le vacarme des couverts
Je crains la nuit
Elle s’est assise et m’accompagne
Quotidienne et morne compagne
La solitude fait grand mal
Dans son marasme lacrymal
Peuplé d’ennui
J’attends que l’on frappe à ma porte
Qu’un tourbillon de vent m’emporte
Par dessus les sombres marais
Haut vers la sphère où tu serais
Où l’astre luit
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