Lettre à E
J’irai de bon matin quand se lève la brume
Quand les rêves s’arrêtent au bord des oreillers
Quand la terre fredonne et que le ciel écume
J’irai tôt le matin courir te réveiller
Je veux être témoin quand tes paupières closes
Fleuriront sous l’éclat d’un horizon nouveau
Où les tout petits riens où les petites choses
Seront pour notre cœur d’inébriants cadeaux
Tout nous appartiendra et le temps et l’espace
Et nos rires d’enfants monteront jusqu’au cieux
Sans jamais que nos mains un instant se délacent
Sans jamais un instant ne se quittent nos yeux
Quand cette onde de joie inondant tout notre être
Au loin emportera jusqu’au confins des jours
Ce fragile navire on atteindra peut-être
Les sables argentés de l’île sans retour
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La Grande Dame
C’est la mine défaite et le cœur affligé
Qu’on s’en va renâclant doucement vers ta porte
Se demandant pourquoi il nous est infligé
Ce terrible fardeau que toute vie transporte
Sous ta funeste bure où s’éclipse ton front
Tu te ris de l’effroi qui hante nos racines
Et d’un geste rompu tu conjures l’affront
Des êtres suspicieux que ton ombre fascine
On élude ton nom craignant de t’invoquer
Redoutant par ce mot ta sournoise présence
Et si par ce blasphème on pense t’offusquer
On se signe implorant ta noble bienfaisance
Sous tes mornes haillons se cache nous dit-on
Un être famélique aux desseins implacables
Qui fauche des allants aux rondes des saisons
Négligeant ces foyers que le chagrin accable
Nos peurs irraisonnées par ton joug menaçant
Dissimulent à nos cœurs ton être véritable
Car tu nous affranchis de ce monde oppressant
Apportant au défunt ta lumière improbable
Ô mère de douceur qu’on qualifie à tort
D’intransigible mort, tu es la Grande Dame
Qui vient et nous ravit aux souffrances du sort
Et nous dépose aux cieux dans le berceau des âmes
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Echo du passé
Contemplant le lointain tout recouvert d’été
Une douce torpeur tout doucement m’emporte
Tel un soupir divin qui n’a jamais été
Pour un simple mortel, exhalé de la sorte
Le soleil et la brise et tous les champs de blé
Des vieux saules, aux rus et toute la nature
Forgent un souvenir à mon âme troublée
Où dansent dans les nues d’étranges créatures
Ce sont me semble t-il des ombres d’autrefois
Des compagnons d’un jour, des béguins illusoires
Des rires tapageurs et des regrets parfois
Qui par leur tourbillon racontent mon histoire
Dans cette farandole aux contours imprécis
L’ivresse de jadis bouscule tout mon être
Je scrute chaque trait en espérant ainsi
Dans cet écho lointain, enfin te reconnaître
Ecrire
Écrire, écrire encor jusqu’aux matins conquis
Écrire mais pour quoi ? Écrire mais pour qui ?
Au dessus de mon front, seul un ange se penche
Et se détourne un peu quand mon âme s’épanche
Quel verbe peut porter le poids d’une émotion
Le sentiment profond d’un cœur en distorsion
Si pauvres sont mes vers que je leur tends l'aumône
Et gracieux les écris sur une feuille jaune
Mais hélas ils ne sont qu’effluves de printemps
Clapotis de ruisseau qu’on oublie dès l’instant
Inaudibles soupirs des forêts de l’automne
Silences enneigés ou nuages qui tonnent
Fermés, scellés d’un cœur rouge comme mon sang
Mon âme s’en défait dans l’espoir grandissant
Que le souffle du vent un matin les emporte
Et délicatement, les pose à votre porte
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La vie rêvée d'un homme
Aux quatre coins des vents, j’ai tant roulé ma bosse
Sans allonger un pas, sans bateau, sans carrosse
Jetant dans les maquis les axes planifiés
Que des cœurs maladroits m’avaient cartographiés
J’ai couru tant de cieux, gravi tant de nuages
Aveuglément franchi les porches de mes âges
Aimé sans contredits les chants de Cupidon
Qui toujours m'amenaient le cœur à l’abandon
J’ai tant rêvé ma vie qu’elle en fût toute belle
Et chacun de mes jours porte sa ritournelle
L’Univers, de tout temps, silencieux et discret
Aux portes de l'éther me livrait ses secrets
Mais le soir est venu où les astres s’éteignent
Où la plainte s’enfuit des lèvres qui l’étreignent
J’ai tant rêvé ma vie, juste en fermant les yeux
Que je solde mon âme au néant ou à Dieu
Et qu’importe l’endroit, en France où en Ecosse
Pendant qu’on scellera mon esprit dans la fosse
Faisant perte de tout, renonçant à mon corps
Sachez, qu’en mon tombeau, je rêverai ma mort
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